Enquête
Les animaux domestiques, particulièrement les chiens, sont d’un attrait grandissant chez les Ivoiriens. Mais leur épanouissement est encore loin d’être une réalité en Côte d’Ivoire. Comme en témoignent de milliers de chiens ou de chats en errance, maltraités ou abandonnés. Comment s’adaptent-ils à l’environnement urbain ? Quelles sont les dynamiques sociales entre ces animaux et les communautés humaines qui les côtoient ? Autant de questions auxquelles ce sujet permettrait de répondre. Notamment sur les réalités vécues en présence des chiens errants, tout en mettant en lumière leur impact au plan émotionnel, économique, social, etc, en milieu urbain.
Adaptation et survie en communauté face aux défis de la rue
Nés errants, abandonnés ou échappés de leur foyer, ces amis à 4 pattes ne sont pas différents de leurs compagnons que des expatriés qui avaient décidé de prendre. Et dont ils ont au moment de repartir dans leur pays d’origine, choisi rejeter. Du coup, leur vie de chiens errants dans la ville devient celle d’une survie organisée, entre résilience, adaptation, et cohabitation.
Ces chiens incarnent un lien fragile entre nature et urbanisation. Rappelant par leur présence les défis, mais aussi la solidarité possible entre les êtres vivants en milieu urbain. Ils doivent chercher de la nourriture dans les poubelles, près des restaurants ou des marchés. Évitant les gardiens ou les commerçants qui cherchent à les éloigner. La compétition est rude et l’alimentation peu stable. Une situation qui entraîne des carences et des maladies. En l’absence des soins, les blessures ou infections deviennent des problèmes graves, diminuant leur espérance de vie. En outre, les intempéries dont la chaleur, les forcent à trouver des abris de fortune sous des bâtiments, des véhicules ou dans des espaces abandonnés.
Interactions entre humains et chiens errants
En milieu urbain, ces animaux sont souvent vus avec une certaine appréhension. Principalement en raison des craintes liées à la sécurité : morsures, propagation de la rage et risques sanitaires.
Carole, mère de trois enfants, exprime son inquiétude pour la sécurité de ses progénitures: « Mes enfants adorent les animaux, mais les chiens errants sont imprévisibles. J’ai toujours peur qu’ils réagissent mal si les enfants s’approchent d’eux par curiosité.».
Dans des zones où des groupes de chiens errants sont connus pour rôder, certains habitants signalent qu’ils se sentent vulnérables en rentrant chez eux le soir.
« La nuit, certains chiens deviennent très territoriaux. Ils se mettent à aboyer ou à grogner dès qu’ils voient quelqu’un. Ça devient intimidant et on a l’impression qu’ils peuvent attaquer à tout moment », confie Mamadou, un agent de sécurité.
Nicolas, un commerçant, redoute quant à lui, les maladies que les chiens errants pourraient transmettre. « Les chiens errants traînent souvent près des poubelles de mon commerce. J’ai peur qu’ils propagent des maladies dont la rage et d’autres infections zoonotiques. Surtout lorsqu’ils laissent des déchets éparpillés. Cela pourrait nuire à la propreté et à l’hygiène du quartier. », s’inquiète-t-il.
Le chien errant un «réservoir» et «vecteur» de transmission des maladies à l’homme
L’étude de l’épidémiologie de la rage en Afrique tropicale, met en évidence le rôle essentiel du chien. En tant que «réservoir» et «vecteur» de la maladie à l’homme. Ceux de race commune surtout entretenus à des fins utilitaires. Les chiens errants représentent le véritable «réservoir de virus» qui assure la pérennité de la maladie. Ceux sans maitre ni domicile fixe. La persistance de ce «réservoir» tient à l’exploitation possible de ces animaux, à certaines croyances traditionnelles. Ainsi qu’à à l’indigence de ceux qui les utilisent. L’éradication de la rage en Afrique tropicale, passe d’abord par la suppression de ce réservoir de germe et l’information. Notamment, en vue d’un changement de mentalité des propriétaires. Les carnivores domestiques et plus spécialement le chien entretiennent l »introduction l’enzootie de rage en Afrique tropicale.
Les dangers de la valeur thérapeutique de la salive du chien
La valeur thérapeutique de la salive du chien une croyance traditionnelle très répandue ajoute une note originale a l’élevage du chien. Réputée dans toute l’Afrique noire, pour avoir certaines propriétés antiseptiques ou curatives. C’est pourquoi on se laisse donc lécher volontiers une plaie par son chien, persuade que celle-ci guérit plus vite, sans se douter des conséquences hygiéniques dues a la présence éventuelle d’agents de zoonoses et en particulier de virus rabique dans Ia salive de l’animal.
La compassion envers des êtres errants
Si beaucoup associent ces animaux à la saleté ou à la maladie en adoptant une approche de rejet et d’indifférence, certains citoyens par contre expriment de la compassion envers ces êtres errants. Exprimant la volonté de les aider, malgré les contraintes économiques, comme en témoigne Flora, gérante de maquis au 2 Plateaux. « Je ne sais pas garder un chien. Mais chaque matin dès que j’arrive à mon Magasin, il y en a un qui m’accueille. Je suis obligée de lui acheter du poisson frit parce que je ressens par ses gestes, une demande. Quand je le lui offre, il mange et se tranquillise. J’ai le sentiment d’avoir aidé un humain. », révèle-t-elle.
Le chien africain : un carnivore juste de nom
Ces animaux n’ont bien souvent de carnivore que de nom car faible est l’apport carne de leur alimentation. Le plus souvent, l’animal est laisse a lui-même et va chercher de quoi se nourrir en dehors de la maison sur les dépôts d’ordures. Les propriétaires les plus consciencieux leur réservent les restes des repas, a base de céréales. Des os sont souvent donnés pour améliorer la ration. Si la générosité du propriétaire sur le plan de l’alimentation et de l’entretien n’est pas très élevée, les services qu’il en tire par contre sont nombreux. Fonctions, Utilité du chien. Parfois élevé pour sa chaire, son intérêt économique ou religieux. Dans le rôle de détecter et de traquer le gibier, la récompense pour ses bons services se reflète dans l’amélioration de sa ration alimentaire par des éléments carnes.
Initiatives associatives et citoyennes
« Ce ne sont pas juste des bêtes, mais aussi des membres à part entière de la famille. Et aujourd’hui, de nombreux Ivoiriens ont ce sentiment-là. Je pense que le rapport de l’homme avec l’animal domestique est une question d’éducation tout simplement.», a déclaré, Audrey Monteuil, présidente du Comité de Protection des Animaux de Côte d’Ivoire (CPA-CI). Une association qui joue un rôle dans la sensibilisation, l’adoption responsable, et la prise en charge des animaux abandonnés en Côte d’Ivoire. A l’en croire, ceux qui veulent adopter ces animaux ne sont pas beaucoup informés sur la manière de s’occuper d’eux. Ils se retrouvent vite dans un gouffre financier puis par manque de temps ou par lassitude, décident d’abandonner leurs compagnons dans les rues.
Des propriétaires manquent d’informations
Créé en 2017 grâce à Audrey Monteuil, le CPACI est un groupe qui milite pour des lois de protection plus strictes. Il sensibilise le public à l’adoption et assure des services de soins vétérinaires pour les animaux en difficulté. Selon un des membres, le défi reste important. « Beaucoup de propriétaires manquent d’informations ou de moyens pour garantir des soins appropriés. Des initiatives complémentaires sont nécessaires pour étendre la sensibilisation et l’accès aux soins à un niveau national. Ce, afin de permettre une amélioration durable du bien-être animal dans le pays. », a-t-il cité.
Seulement entre 15 et 20% sont des chiens errants
Le directeur des services vétérinaire de Côte d’Ivoire, le Docteur Vessalo Kallo a indiqué que beaucoup d’études montrent que ces animaux ne sont pas réellement des chiens errants.
« En Afrique, c’est seulement entre 15 et 20% des chiens dans les rues, qui sont réellement des chiens errants. Le reste, ce sont des chiens divagants. C’est-à-dire, des chiens qui ont des propriétaires et dont, pour un problème de malnutrition, sont obligés de sortir allant vers des poubelles. Et selon la réglementation, la divagation animale est interdite. », a-t-il informé.
Politiques publiques et perspectives
Pour des incidents sécuritaires, des dispositions légales et réglementaires sont prévues. Notamment la Loi de 2016 en ses aspects sur la divagation des animaux. Elles sont exécutées par les services administratifs et de sécurité. La Côte d’Ivoire a récemment renforcé son cadre juridique avec la loi de 2020 sur la santé publique vétérinaire. Ladite loi inclut des dispositions pour le bien-être animal. Elle régit divers aspects : soins, traitement des animaux abandonnés, transport, abattage et même l’utilisation d’animaux pour des fins scientifiques. La création d’un Salon des animaux de compagnie, informe les propriétaires sur des pratiques de soins respectueuses. Notamment en matière d’alimentation, de logement, et de santé. Tout en promouvant les cinq libertés essentielles du bien-être animal dont le droit d’être exempté de peur, de détresse et de malnutrition.
A cela s’ajoute le Projet d’Amélioration du Bien-être animal en Côte d’Ivoire en abrégé « PRO BIEN-ÊTRE ». Une stratégie mise sur pied par le gouvernement en vue d’améliorer la santé et le bien-être animal. « Le projet consiste à identifier tous les animaux de compagnie. Former et sensibiliser les propriétaires d’animaux. Ainsi que les vétérinaires privés praticiens et les gestionnaires des centres équestres. Aussi, créer une brigade de capture des animaux errants. Construire une fourrière pour l’entretien des chiens errants et réglementer la détention des chiens de garde et la responsabilité des propriétaires d’animaux de compagnie. », a annoncé le 4 octobre 2023, le Ministre des Ressources Animales et Halieutiques Sidi Tiémoko Touré.
Errances canines: la perte d’un potentiel
L’importance de ces êtres forcés à l’errance, n’est pourtant pas méconnue dans les communautés humaines. Que ce soit au plan sécurité, santé, administration, secours, social, recherche scientifique, équilibre environnemental, art, culture, religion, et même des croyances. Outre ces secteurs, bien de métiers existent autour du chien au plan économique: accessoiristes, cliniques vétérinaires, industries des produits alimentaires ou esthétiques pour chien, commerce gadgets, etc.
Herman est dresseur de profession depuis 11 ans dans une société de la place. Avec son salaire d’environ 250000FCFC/mois, il ne regrette pas d’avoir choisi ce métier.
« En plus de ma rémunération mensuelle, je gagne de temps en temps des contrats avec des particuliers à domicile pour leur animaux. Ce qui me permet de n’avoir aucune inquiétude lorsqu’il s’agit de faire face aux besoins de ma famille, sans pour autant empiéter sur mes projets personnels. », témoigne-t-il. Comme Herman, des milliers d’autres jeunes travaillent dans des activités dérivées du chien. Certains ont des revenus d’activités allant à plusieurs millions de francs CFA par mois, et des salaires proches de ceux de hauts fonctionnaires de la République
De tels témoignages, face à la scène urbaine traversée par ces chiens errants, renvoient à une question pour une prise de conscience : quelle place accorde-t-on à ces vies silencieuses qui partagent notre espace, et jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour qu’elles aient, elles aussi, un foyer ?
Le chien dans nos sociétés africaines.
Le chien, comme partout ailleurs dans le monde est un animal familier de l’homme. Si dans les sociétés européennes le coté affectif ou d’agrément est très important, dans les populations noires africaines, celui utilitaire de l’animal l’emporte sur toute autre considération. Cette caractéristique guide l’homme dans ses relations avec l’animal. Race, Mode de vie et Alimentation. Les chiens, de race commune, sont prolifiques: 4 à 8 chiots par portée. La production n’est pas contrôlée du fait du mode de vie de ces carnivores. Rares sont les chiens qui possèdent un abri, une niche et la plupart du temps, ils vivent en dehors des habitations et s’approprient un coin de la cour.
Un enjeu pour les autorités locales
La gestion de cette population errante reste un enjeu pour les autorités locales. En raison de la propagation des maladies et de la sécurité publique. Pour les travailleurs sociaux, sensibiliser à la coexistence pacifique avec ces chiens représente certes, un défi. Mais, soulignent-ils, des efforts pour gérer la population de chiens errants pourraient changer la perception de ces animaux. Notamment à travers une éducation de la population et en encourageant une approche plus empathique et respectueuse envers ces animaux.
Selon le Club des amis canins (CAC-CI), la Côte d’Ivoire compte environ 9 millions de chiens, dont une grande partie se trouve dans les zones urbaines. Particulièrement à Abidjan. Près de la moitié de cette population canine n’est pas vaccinée ni contrôlée. Ce qui selon le club, pose des défis sanitaires et de gestion dans les centres urbains. Une situation dont la solution, révèle le CAC-CI, réside dans des campagnes de vaccination et des efforts pour la capture et la stérilisation des chiens. Notamment pour limiter la croissance de la population errante. Bien que des ressources supplémentaires soient nécessaires pour une couverture complète dans la capitale, indique le CAC-CI.
Perez Épée