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Destruction des quartiers informels : solution ou défis ?

Destruction des quartiers informels : solution ou défis ?

Les établissements informels que tous ont côtoyés hier, sont aujourd’hui chez bon nombre de politiques, le symbole d’une pauvreté difficile à assumer en termes d’image. Leur attention, non sans heurts, lorsqu’il s’agit de prendre des mesures de destruction, suscite des interrogations. Quant bien même, repenser l’avenir nécessite une approche innovante, coordonnée et socialement inclusive. Huit mois après les démolitions des quartiers précaires à Abidjan, le bilan est mitigé. Si l’obtention de la nudité des terres est un premier acquis dans le projet, l’on se demande : qu’est-ce qui est concrètement résolu,  non résolu, ou encore, à résoudre ? Tant au plan socioculturel, économique qu’environnemental.

Régina, mère de 5 enfants, a dû répartir sa progéniture chez des amies et connaissances en vue d’un dortoir.

Dans les zones de Gesco, Boribana et Banco 1 pour ne citer que celles-là, plusieurs familles expulsées ne savent à quel saint se vouer. L’état de  précarité de ceux que LE JOUR PILE a approchés, continue d’affecter  leurs conditions de vie. Ce, moralement que physiquement. Du fait des fractures sociales pour certains, que les casses ont  provoquées. Et pour n’avoir reçu ni indemnisations suffisantes, encore moins de solutions de relogement chez  les autres.

Régina, mère de 5 enfants, a dû répartir sa progéniture chez des amies et connaissances en vue d’un dortoir. « Je suis obligée de me séparer de mes enfants à cause de cette situation. Mon mari se débrouille à dormir sur son lieu de travail et moi, ici sur les étales du marché. En attendant de voir, quel est le plan de Dieu pour nous. », Explique-t-elle, les larmes aux yeux. Assise derrière des régimes de banane, Regina attend impatiemment les clients depuis 6 heures du matin, dans un marché de la Commune de Yopougon.

Les destructions  ont également perturbé l’éducation, depuis l’avènement des récentes démolitions. Obligeant de nombreux enfants à abandonner leurs études cette année. Ils sont nombreux  à quitter les bancs, découragés par leurs échecs aux examens, et par manque d’appuis. A l’instar de Kouamé, qui a choisi de se lancer dans la gérance d’une cabine téléphonique, pour soutenir financièrement sa famille.

« Nous n’étions pas prêts, physiquement et moralement, pour passer le Bac. Etant donné qu’il y a des documents que nous n’avons pas pu sauver. En plus, à cause de la maison cassée, les conditions de préparation de l’examen étaient très pénibles. Ma mère étant  souffrante, je n’ai pas eu d’autre choix, que de vendre des arachides, pour trouver de la pitance pour elle. », s’est alarmé Awa. Désormais vendeuse à la sauvette, elle est une ancienne élève en classe de terminal du groupe scolaire  Cha-Hélène. Un établissement détruit qui accueillait près de 800 apprenants.

 Le président Alassane Ouattara appelle à la solidarité

Au niveau politique, ces opérations de démolition, souvent perçues comme violentes et mal planifiées, ont suscité de vives critiques. Les populations se plaignent d’un manque de transparence et de dialogue. Celui, entre les autorités d’une part, et les populations d’autres parts. Le président de la République, Alassane Ouattara, a exhorté à la solidarité pour préserver la cohésion sociale. De nombreuses familles se sentent abandonnées, estimant qu’elles sont sans soutien concret.

« La municipalité de Yopougon, se désolidarise de cette action menée de façon unilatérale par le ministre-gouverneur. Elle tient à réaffirmer son profond attachement à la sécurité et au bien-être des habitants de sa commune. » rapporte une déclaration de  la commune de Yopougon. Elle  dit déplorer les méthodes du ministre-gouverneur du district d’Abidjan. Estimant,  »qu’il est impératif, conformément à la vision du président de la République, de se plier aux exigences d’un développement inclusif. Celui qui concilie construction d’une ville moderne et protection des plus démunis « .

 Les autorités ont manqué à leur obligation en matière de droits humains ?

« Quelles que soient les raisons évoquées pour justifier ces destructions, les autorités ont clairement manqué à leur obligation. Notamment en matière des droits humains. Ceux qui découlent de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ainsi que du pacte international relatif au droit économique, social et culturel(PIDESC).  Tous deux ratifiés par la Côte d’Ivoire en 1992.», a déclaré, Hervey Delmas Kokou, directeur exécutif  d’Amnesty international Côte d’Ivoire. L’organisation non gouvernementale indique que plusieurs résidents qu’elle a rencontrés, étaient en possession d’arrêté de construction définitive(ACD). Un document légal conférant la propriété d’un terrain en Côte d’Ivoire. Selon les Nations unies, « un quartier informel » comprend un ou plusieurs des critères suivants : l’accès inapproprié à de l’eau potable,  à l’assainissement et ou aux autres infrastructures. L’ONU-Habitat intègre uniquement à l’analyse, les dimensions physiques et légales des implantations.

En Côte d’Ivoire, la loi N° 2007-35 du 6 août 2007 portant code des lois sur les biens immobiliers encadre le déguerpissement. Elle définit les conditions du retrait des locaux. Les clauses de déguerpissement que les locataires sont tenus de respecter figurent généralement dans les conventions de bail.

La situation post-démolition à Abidjan reste critique, avec des milliers de personnes toujours sans activités, sans logement et sans éducation pour leurs enfants. Encore moins les moyens de subsistance.

Le 13 mars, le gouvernement avait annoncé l’octroi de 250000FCFA, par ménage expulsé. Un accompagnement a été annoncé aux propriétaires fonciers dans l’acquisition de parcelles en pleine propriété. Aussi, que la mise à disposition de terrains selon la taille de la famille, l’allocation d’une aide à la construction d’un montant de 1 million FCFA par famille et la mise en place d’une cellule aménagement des quartiers précaires, du District Autonome d’Abidjan, logée à la primature pour le suivi des déguerpissements. Le montant global du soutien de l’État aux populations affectées dans les quartiers de Boribana à Attécoubé et de Gesco à Yopougon s’évalue, sur la base de cette allocation forfaitaire, à 697 millions de FCFA.

Beaucoup n’ont pas encore reçu d’indemnisation.

D’un point de vue économique, c’est la conjoncture généralisée, au lendemain du top départ des casses. Chez les commerçants  comme dans bien d’autres activités, tout est en stand by et la pensée dans l’espérance.

A Gesco, un quartier visité par des engins de démolition, 133 fermiers ont vu leur enclos et bassin de pisciculture anéanti. Ce, depuis le 21 février 2024. Un terrain de près de 4 hectares leur avait été octroyé par une société d’Etat. La société d’enveloppement des forêts pour la création d’une zone agro-pastorale. L’Association des fermiers estime les pertes à environ 650 000 000 FCFA, soit près de 1 million d’Euro. Beaucoup n’ont pas encore reçu d’indemnisation. Une situation qui  les plonge dans l’incertitude et la pauvreté. A cause, des promesses d’aide et de terrains pour la reconstruction qui tardent à se matérialiser selon eux.

« J’aurais pu évacuer mes bêtes, si les avaient étaient sincères avec nous, lorsque nous sommes allés nous renseigner au District. Pour savoir  si notre site est parmi ceux à détruire. Je ne me suis inquiété de rien, jusqu’ à ma grande surprise voir l’enclos détruit et les bêtes s’éparpiller ça et là.  L’on nous parle de l’indemnisation, mais jusqu’ici, nous sommes toujours en attente. », a fait savoir Moussa. Konima, quant à lui, est loin d’oublier la perte de ses investissements dans la pisciculture. « Tous ces évènements me dépassent, je ne me retrouve pas. Les huit personnes qui travaillent avec moi ne savent pas où aller, et les 10  000  000 FCFA de prêt de banque sont perdus. », se lamente-t-il.

Une politique qualifiée d’aggravation de  la crise du logement.

La lutte contre le désordre urbain, l’insalubrité et l’assainissement d’Abidjan, sont  une vision qu’a déclinée le nouveau ministre gouverneur du District d’Abidjan, Cissé Bacongo, devant les maires des 13 Communes de sa circonscription, dès sa prise de fonction. Mettant en lumière, la problématique des constructions anarchiques de logements sous haute tension et les bassins d’orage. Ainsi que l’occupation des voies de circulation par des commerçants. Il s’en est suivi une  série de casses,  dans le cadre d’un plan de démolition de 176 sites.  D’aucun estiment que ces programmes d’aménagement sont  justifiés idéologiquement par de nombreux euphémismes : modernisation,  relogement,  travaux d’assainissement, etc. Une politique qualifiée chez  les opposants à ces projets, d’aggravation de  la crise du logement et d’atteinte aux populations déjà fragilisées.

Selon les autorités locales, 1199 familles et 203  propriétaires sont impactés à Gesco, tandis que 600 familles à Abattoir ont perdu leurs maisons. Colombe Ivoire, une  organisation non gouvernementale (ONG), locale, indique que le nombre de personnes affectées au quartier Boribana est de 28000. Au Banco, à en croire un dignitaire de la chefferie, 15000 personnes ont été touchées.

Les partisans de la démolition des quartiers informels soutiennent la restructuration de ces zones. Notamment, disent-t-ils, pour leurs caractères d’habitat précaire et leur manque d’infrastructures. Ce, afin d’assurer la sécurité des habitants et répondre aux normes modernes. Les projets de rénovation urbaine, tels que ceux supervisés par le District autonome d’Abidjan, visent à remplacer ces quartiers par des logements plus salubres et des infrastructures plus adaptées. ​ L’objectif étant selon eux, de réduire entre autres les risques d’incendies, d’améliorer l’accès aux services publics et renforcer l’inclusion sociale dans les espaces urbains modernisés.

La nature ayant horreur du vide, a accepté de nouveaux occupants.

Sur le plan environnemental, l’aménagement des terrains dégagé à travers les démolitions reste peu clair.  Certaines zones ont été rasées sous prétexte de lutte contre les inondations et d’aménagements urbains.  La question de surveillance, de la gestion des débris et de la reforestation n’est pas résolue. La nature ayant horreur du vide, a accepté de nouveaux occupants. Non loin du carrefour Deux Plateau, ressortent de terre, des magasins, au milieu des décombres. Un interlocuteur choisit de garder l’anonymat, afin de nous en dire plus, sur le bâtiment en construction,  dont il supervise les travaux.

Il parait que vous avez bâti sur un endroit destiné à un projet d’embellissement ?

Nous le savons très bien. Mais d’ici à l’embellissement dont on parle, le coin est devenu un fumoir en plein air. On y défèque à tout moment et n’importe comment. Nous estimons qu’en nous installant ici, cela contribuera à le rendre moins effrayant pour les passants.

Pourquoi, selon vous, d’autres personnes s’y installent-elles également?

Je pense que c’est surtout à cause du manque d’alternatives abordables. Beaucoup de gens comme moi, sont confrontés à des difficultés économiques. Cet endroit à mon avis, offre une solution temporaire, même si c’est un risque.

Quelles difficultés rencontrez-vous en construisant sur une zone démolie?

La principale difficulté est l’incertitude. Il y a ensuite, l’insécurité due à l’illégalité. Nous ne savons pas quand la nouvelle démolition peut surgir.

Avez-vous eu des contacts avec les autorités locales ou d’autres acteurs concernés par cette zone ? Si oui, quelle a été leur réaction à votre installation ?

Non, pas directement. Les autorités n’ont pas encore discuté avec nous de manière officielle. Nous savons qu’elles sont conscientes de notre présence.

Pensez-vous qu’il existe une possibilité de négociation avec les autorités pour rester ou obtenir une forme de régularisation ?

Je l’espère, mais je suis sceptique. Les autorités semblent plus intéressées à dégager les terrains qu’à nous offrir des solutions pérennes. Mais s’il y avait une chance de négocier, je serais prêt à discuter.

Pensez-vous que vous avez le droit de rester sur cette terre? Pourquoi ?

Je pense que nous avons un droit humain de vivre dignement. Nous ne demandons pas grand-chose. Juste un endroit où nous pouvons nous établir. Si on nous propose une alternative raisonnable, nous partirons, mais pour l’instant, c’est tout ce que nous avons.

Si vous aviez l’opportunité de parler aux autorités locales ou à d’autres décideurs, que leur diriez-vous concernant votre situation ?

Je leur dirais que nous sommes des êtres humains qui méritons d’être traités avec dignité. Nous ne sommes pas ici par choix, mais par nécessité. Nous avons besoin de solutions, pas de bulldozers.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux personnes dans des situations similaires ?

Je leur dirais de rester forts, mais aussi de chercher des alternatives quand c’est possible. Personne ne devrait vivre dans la peur de perdre ses activités ou son foyer du jour au lendemain. Vous savez, dans la vie, qui ne risque rien n’a rien. Même sur le chemin du paradis, on se bouscule, et cela  nécessite le courage.

L’occupation des sols pose une problématique des habitats informels,  autrement plus complexe qu’une simple émergence à offrir. Si les quartiers ‘’précaires’’ sont pour la plupart, considérés comme des ‘’agglomérats de pollution, d’insécurité et d’infamie’’, ils sont tout de même un réservoir  de suffrage pour les politiciens. Une niche de créativité culturelle, d’imaginations sociales, d’inventivité économique et urbanistique ». Les démolir sans dispositions préalables, constitue une menace pour les populations locales. Une peine perpétuelle que l’on se donne, devant une population qui n’a d’autre choix, que de récidiver, face à la misère.

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