À la veille de la Journée mondiale de la musique célébrée dans le monde tous les 21 juin, un panel s’est tenu le 20 juin 2025 au Centre Sportif, Culturel et des TIC Ivoiro-Coréen Alassane Ouattara (CSCTICAO). Organisé sous l’impulsion de son directeur, Remarck Abdoulaye Patrice, ledit panel s’est déroulé autour du thème : « Musique, Digital et Développement ». Il a rassemblé un aréopage d’experts et d’acteurs culturels venus interroger les mutations à l’œuvre dans le monde de la création artistique.
Pour les conférenciers, au-delà des sons, il s’agit d’une véritable révolution silencieuse qui traverse l’univers de la musique et des industries culturelles. Une révolution numérique, portée par des algorithmes puissants, des intelligences artificielles omniprésentes, et des plateformes globales façonnant goûts, valeurs et modèles économiques.
L’IA, une alliée ou une menace ?
Pour Aristide Diko, producteur et opérateur culturel, l’intelligence artificielle peut être une complice de création. Il en fait un usage pragmatique pour générer des bases musicales, gagner en efficacité, et enrichir son processus créatif. « Ce n’est pas de la facilité, c’est un levier. Mais l’élément humain reste central », insiste-t-il. Pourtant, d’autres intervenants n’ont pas manqué de pointer les dérives potentielles. L’IA imite désormais les voix humaines avec une précision inquiétante. Une prouesse technologique qui soulève des questions fondamentales : que devient le métier de comédien de doublage ? Que reste-t-il de l’authenticité artistique, quand la machine peut usurper l’identité vocale d’un artiste ?
Le débat s’intensifie. Au Canada, des mesures ont été adoptées pour encadrer cette technologie. Et en Côte d’Ivoire ? L’heure est venue de légiférer, de s’armer juridiquement face à des outils qui, sous couvert d’innovation, peuvent déposséder les créateurs de leur œuvre, de leur voix, de leur histoire.
Réformer d’urgence le droit d’auteur
Koffi Harison, chef du service juridique au Bureau Ivoirien du Droit d’Auteur (Burida), en est convaincu : « Le droit ne peut rester figé. L’IA impose une redéfinition de ce que l’on entend par auteur, œuvre originale et titularité des droits. »
Le plaidoyer est clair. Il faut repenser les cadres juridiques, renforcer les mesures techniques de protection, et surtout, anticiper. Car l’inaction profiterait aux grandes plateformes mondialisées, au détriment des artistes locaux, souvent mal informés et mal protégés.
Vers une souveraineté culturelle numérique
Mais au-delà de la régulation, ce panel a ouvert une voie ambitieuse : celle d’une souveraineté culturelle africaine. Un intervenant l’a souligné avec force : « Nous utilisons des outils conçus ailleurs, qui ne comprennent ni nos langues, ni nos réalités. Il est temps de développer nos propres IA, nourries par nos données, nos références culturelles, nos imaginaires. » L’enjeu n’est pas uniquement technique. Il est identitaire, politique, civilisationnel.
Dans un monde où les algorithmes décident de ce que nous écoutons, aimons, achetons ou croyons, l’Afrique ne peut rester spectatrice. Elle doit devenir architecte de ses propres outils, de ses propres récits. La créativité existe. Les talents aussi. Ce qui manque, c’est une vision partagée et une volonté politique ferme.
Former, sensibiliser, anticiper
Le panel a connu l’intervention d’autres grandes figures de la culture ivoirienne: Mike Danon, directeur artistique ; Angélo Kabila, président de l’Aprodemci ; le professeur Ngoran Modeste de l’Université FHB. Il s’est conclu par un concert vibrant, reflet de la diversité musicale ivoirienne. Mais au-delà de la fête, le message de cette rencontre est clair : il faut former les artistes aux outils numériques, sensibiliser les ayants droit, et construire ensemble une stratégie culturelle à l’échelle du continent. Une stratégie qui concilie innovation technologique, équité juridique et valorisation des patrimoines locaux.
« Nous sommes à un tournant décisif. Le numérique peut nous rapprocher de l’excellence, ou nous en éloigner. Cela dépend de ce que nous en faisons, ensemble. », a rappelé Remarck Abdoulaye Patrice.
Loba Perez